Explorer les traces que le passage du temps laisse dans notre vie, telle est l’intention du projet artistique de Paul Béliveau.
L’arrivée d’une nouvelle série vient enrichir le regard que pose le peintre sur le travail du temps. La série Les Éphémères ajoute une dimension à la quête de Béliveau. L’artiste se donne un nouveau dispositif pictural permettant d’ajouter un angle de vue, d’explorer de nouvelles strates de référence auparavant comprimées dans le format des livres. La série renforce le travail de dissection et d’investigation, et ouvre une toute nouvelle perspective sur l’œuvre du temps. Elle aborde le travail d’érosion de la matière, comme une métaphore de l’effritement de la mémoire, et met en scène d’une façon unique la matière et le souvenir.
Cette exploration, le peintre l’avait amorcée précédemment, dans de courtes séries. Avec Les Éphémères, elle trouve un nouveau souffle. Béliveau y reprend le jeu de la juxtaposition des images, lesquelles, mises en présence l’une de l’autre, évoquent autre chose qu’elles-mêmes. Le fil conducteur est toujours le temps, mais dans sa trace sur les êtres et les choses, et aussi dans sa morsure.
Les Éphémères, c’est aussi le contraste entre le sublime et le déchu. Ce laps de temps si court, parfois, entre ces deux pôles. Les choses existent puis disparaissent sans qu’on puisse les retenir. Tout passe. Il en reste les traces de ce passage qui marquent le temps, qui marquent la toile.
Le jeu de connivence des images et des mots superposés sur la toile est le lien formel qui relie la nouvelle série à celle qui se poursuit, sous la thématique du livre. Cependant, cette dernière série se transforme. D’abord intitulée Les Humanités, puis Les Rencontres, elle apparaît sous son nouveau titre, Vanitas. Ce mot fait référence à « vanité », catégorie particulière de nature morte dont la composition allégorique suggère que l’existence terrestre est vide, vaine, et que la vie humaine est précaire et futile. Les œuvres qui s’y rattachent sont peuplées de crânes, de sabliers, d’instruments de musique, d’objets scientifiques et de livres. Dans Vanitas, Béliveau actualise ce genre.
Dans sa quête, le peintre utilise toutes les ressources actuelles pour proposer des pistes de réponse à cette quête de l’homme moderne qu’a d’ailleurs très bien résumée Gauguin dans une de ses œuvres : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?
Chez Paul Béliveau, ce questionnement prend une forme plus particulière. Quelle valeur ont les choses puisqu’elles sont destinées à disparaître ? Qu’est-ce qui dure ? Ce qu’on aime peut-il résister au temps ? Que reste-t-il alors que tout passe ? Est-ce l’orgueil d’exister qui nous empêche d’avoir accès à l’essence de la vie ? Dans sa production, l’artiste nous ramène à l’émotion personnelle que nous fait vivre cette érosion. Les Éphémères est une ode à la beauté de ce qui passe et aux marques que cela laisse en nous.
À l’instar de ces lévriers qui traversaient ses toiles, Béliveau se sent engagé dans une course contre la montre qui se concrétise dans le processus de production qu’il a délibérément mis en place. Le temps est une matière première à utiliser avec circonspection, puisqu’il est non renouvelable. Cela demande d’être créatif pour l’utiliser de façon optimale.
Le défi se transpose dans les moyens à inventer pour battre le temps. Faire appel à la voie d’Internet pour fouiller la bibliothèque, immense, des images. Tirer les ficelles de l’informatique pour définir et tracer les contours de la maquette. Faire appel à l’arsenal technologique pour soutenir la main du peintre. Ce contexte de travail ajoute à la pertinence du propos et à l’intégrité de l’œuvre.
Produire dans le temps. Respecter les échéances des expositions, alimenter les galeries. Jalonner le temps par les étapes de production. Imaginer l’œuvre. La concevoir. La réaliser dans son format réel. L’emballer pour l’expédition. L’installer sur les cimaises de la galerie. Produire à quatre mains, à six mains, et exécuter à temps et à contretemps. Employer son métier pour créer les techniques qui vont rendre le sujet simplement, rapidement. Là aussi s’immisce la lutte contre le temps. Être patient à produire, mais aussi être pressé de voir surgir le résultat. Cette lutte contre le temps amène la préoccupation de ce dernier au cœur de la machine de création.
Pressé de dire, Paul Béliveau sait aussi qu’une œuvre qui dure se forme avec le temps. Chaque jour devient le lieu de son exploration. Tout se ramène à l’œuvre à créer. Toujours, l’issue est à inventer. Il n’y a rien d’acquis. Tout est chaque fois remis en question.
Qu’ont en commun Les Éphémères et Vanitas ? Faire parler la matière dans les empâtements et les coulis. Faire parler la couleur du lustré et du mat. Faire parler le verni et le déchiré. Parler de la chair et de l’eau. Parler du végétal et du minéral. Parler de la richesse des tons et de la force de la monochromie. Parler de la culture. Parler de la nature. Parler de l’histoire. Parler du présent. Parler de nous et de notre rapport à la vie. Parler de ce qui nous touche et nous transforme. Parler de ce qui nous brise et nous ressuscite.
À l’origine de cette nouvelle série, une émotion déclencheuse. Le rappel de la fragilité de la vie, à côté de la force de vivre. Le déclic qui provoque le sentiment d’urgence. L’impuissance face aux événements. La volonté de créer pour répondre au travail de sape du temps.
Durer au-delà du temps, n’est-ce pas l’ambition du projet de Paul Béliveau ? Et en faisant cela, l’artiste ne met-il pas en forme ce désir d’éternité que tout être humain porte en lui-même ?